Que vaut l’inscription de la liberté de conscience dans la Constitution tunisienne ?
À la fois Français et Libanais, maître de conférences en théologie et philosophie à l’Université catholique de Lille et chargé des relations académiques à l’Œuvre d’Orient, Antoine Fleyfel considère la mention de la liberté de conscience dans la nouvelle Constitution tunisienne comme un « pas en avant » vers la construction d’une société pluraliste et démocratique.
Antoine Fleyfel Maître de conférences en théologie et philosophie à l’Université catholique de Lille :
« La question de la liberté de conscience est l’une des revendications majeures des chrétiens mais aussi des “laïques” – musulmans ou autres – dans les pays à majorité musulmane. Elle est aussi à ce titre une revendication du Saint-Siège, qui s’inscrit plus largement dans la logique des droits de l’homme. De fait, aujourd’hui, les conversions posent problème dans les pays majoritairement musulmans parce qu’elles sont interdites par la loi musulmane : sauf au Liban, un musulman qui se convertit au christianisme risque sa vie.
Reconnaître la liberté de conscience dans la Constitution, comme vient de le faire la Tunisie, est donc un pas vers la démocratie, qui n’est pas seulement le règne de la majorité mais aussi le respect d’un ensemble de valeurs contenues dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est important de noter que cette liberté de conscience ne bénéficiera pas seulement aux chrétiens mais à tous, en tant qu’elle favorise l’émergence d’une société pluraliste et respectueuse de tout être humain.
Certains sceptiques diront qu’il ne s’agit que d’une phrase, et que la réalité sociale restera la même… Quant à moi, j’y vois le signe d’un espoir dans le monde arabe. Il n’est pas étonnant que ce pas ait été franchi par la Tunisie, où la société civile qui croit dans ces valeurs humanistes est plus établie, et qui bénéficie d’un acquis laïque malgré la corruption de l’ancien régime.
Au passage, je précise que la laïcité dont on parle dans le monde arabe n’est pas une laïcité crispée, qui cherche à exclure la religion du domaine public, mais une laïcité “à l’orientale”, qui lui reconnaît une place dans la société, capable, par exemple, de s’inspirer des valeurs religieuses universelles, sans pour autant imposer la loi islamique à tous les citoyens. Je sais, bien sûr, que les choses se construisent sur de longues années, que les mécanismes juridiques qui rendront effective cette liberté de conscience sont encore à construire.
Le combat sera sans doute encore long : en Égypte, par exemple, le document publié par Al Azhar en 2012 sur la liberté religieuse, qui nous a tant réjouis, ne va pas jusqu’à évoquer la liberté de conscience. Mais il faut de tels pas. Ce qu’a réussi la Tunisie peut augurer une percée dans le reste du monde musulman. Plaise à Dieu qu’il soit contagieux. »
Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner
La Croix, le 27 Janvier 2014