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Europe passoire ou Europe forteresse: le regard sur les migrants sera l'un des ressorts essentiels du vote aux élections européennes, mais, à quelques jours du scrutin, les débats de fond sont rares et difficiles.
Les partis d'extrême droite font la course en tête dans plusieurs pays en dénonçant une immigration "étouffante" (Front national), un "désastre" (Ukip britannique) et en réclamant un "contrôle des frontières" par chaque pays et non par "le monstre de Bruxelles" (Parti pour la Liberté des Pays-Bas).

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Le 20 mai 2014, un bateau plein de migrants durant une opération
de sauvetage menée par la Marine italienne au large de la Sicile

Les images de centaines de migrants lancés à l'assaut de l'enclave espagnole de Melilla ou de chaloupes bondées traversant la Méditerranée nourrissent leur discours sur une Europe "passoire".
Pour d'autres candidats, ces navires et les milliers de morts qu'ils suscitent sont le symbole inverse: l'Europe est une telle "forteresse" que les migrants en sont réduits à prendre des risques incalculables pour tenter d'y entrer.
Ces deux visions irréconciliables suscitent fréquemment des échanges acerbes. Lundi soir encore, la patronne du FN Marine le Pen s'est accrochée avec le chef du PS Jean-Christophe Cambadélis qui l'invitait à réviser ses chiffres sur l'immigration.
"La politique migratoire est devenue le sujet explosif par excellence et les résultats que l'on prédit sont largement dus à ce thème", soulignait au même moment l'ancienne vice-présidente du Parlement européen Catherine Lalumière, lors d'un débat à Paris, plus feutré en l'absence du FN.
- Migration: Aucun débat de fonds -

Paradoxalement, "la question migratoire est l'angle mort de cette campagne européenne", soulignait l'organisateur du débat Pierre Henry, directeur général de France Terre d'Asile (FTA). "A part pour produire un certain nombre de postures, elle est impensée."
Pour lui, les chiffres démentent l'idée d'"invasion": en 2013, l'Europe, qui a 507 millions d'habitants, a permis à 1,7 million d'étrangers de s'installer durablement sur son sol. A titre de comparaison, les Etats-Unis et leurs 330 millions d'habitants ont délivré 1,1 million de visas de longue durée en 2011.
De plus, l'Europe a accueilli près de 380.000 demandeurs d'asile, un chiffre en hausse, mais qui reste très marginal rapporté aux 2,7 millions de réfugiés syriens accueillis au compte-goutte dans l'Union Européenne, contrairement à la Jordanie, au Liban et à la Turquie qui ont ouvert leurs frontières à l'exode de masse.
En sortant de la polémique sur les flux, les candidats aux Européennes - hors eurosceptiques - arrivent à se mettre d'accord sur un point: l'Europe pêche surtout par manque de solidarité entre les Etats-membres.
"Nous avons au moins un point de convergence: il faut une coordination européenne", a ainsi lancé lundi soir Geoffroy Didier, cofondateur de la droite forte et candidat sur la liste UMP en Ile-de France, après une altercation avec la tête de liste socialiste Pervenche Bérès.
- L'Italie crie à l'aide -

Tout comme l'Union a adopté une monnaie unique sans fédérer sa politique économique, elle a en effet posé certaines règles sur l'immigration sans harmoniser ses politiques nationales.
Dès 1985, l'accord de Schengen instaurait un espace de libre circulation, sans frontières internes mais avec une frontière commune à l'extérieur. Sauf qu'il n'existe toujours pas de politique commune sur les visas et le contrôle de la frontière extérieure a longtemps été laissé aux seuls pays membres.
De même, pour éviter les doublons, la convention de Dublin de 1990 a posé comme principe que les demandes d'asile soient examinées uniquement dans le pays d'entrée dans l'UE, ce qui pose problème aux pays du sud.
La multiplication des naufrages en Méditerranée a remis le sujet sur la table, d'autant que l'Italie ne cesse de crier à l'aide, comme la Grèce l'avait fait il y a quelques années. En octobre après la mort de 360 migrants au large de Lampedusa, les chefs d'Etat et de gouvernement avaient promis de renforcer la solidarité.
Mais ils avaient préféré remettre les décisions concrètes à juin 2014, après les élections européennes, histoire de ne pas froisser encore un peu plus des opinions chauffées à blanc.

 

Le Parisien, le 21 Mai 2014