Reprise des négociations euro-marocaines sur l'Accord de réadmission: Vers un nouvel échec

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NÉGOCIATIONS - Depuis 2003, le Maroc et l'Union européenne négocient un accord de réadmission qui consiste à faciliter le renvoi forcé vers le pays d'origine ou de transit des migrants arrêtés en situation irrégulière sur le territoire de l'Etat d'accueil.

La conclusion de cet accord constitue une priorité stratégique pour l'Union européenne qui désire renforcer sa coopération avec le Maroc en matière de lutte contre l'immigration clandestine. C'est, d'ailleurs, la Commission européenne, chargée de mener les négociations, qui a laissé entrevoir ce constat en précisant que "la conclusion d'accords de réadmission avec tous les pays voisins à commencer par le Maroc sera un jalon dans la lutte commune contre la migration clandestine".

Cependant, les négociations avec le Royaume durent depuis plus de 10 ans sans aucun résultat concret, ce qui n'a pas manqué d'irriter les dirigeants de la rive Nord. Déjà en 2005, ces derniers ont montré des signes d'impatience en rappelant que "le projet d'accord sur la réadmission avait déjà fait l'objet de 8 cycles de négociations". Mais cela n'a pas empêché le blocage des négociations voire leur suspension.

La réactivation surprenante, en ce début d'année, des pourparlers entre le Maroc et l'Union européenne sur l'accord de réadmission marque le début d'un nouveau cycle et ouvre à nouveau le débat sur l'issue de ces négociations et leur impact sur les relations euro-marocaines. En effet, la Commission européenne se réjouit "des conditions améliorées" des discussions et affirme qu'une conclusion de l'accord de réadmission entre l'Union européenne et le Maroc serait imminente. Est-ce réellement le cas?

Pour répondre à cette question, il faut préciser que les négociations euro-marocaines sur l'accord de réadmission demeurent très complexes. Cette difficulté se justifie, principalement, par les approches différentes utilisées par les deux parties. L'Union européenne privilégie la conditionnalité (approche donnant-donnant), alors que le Maroc insiste, plutôt, sur la nécessité d'adopter une approche partenariale et globale, dont l'accord de réadmission n'est que partie intégrante.

 

L'UE et la politique de conditionnalité

La Commission européenne, chargée de mener ces négociations, demeure convaincue que le recours au poids politique et économique de l'Union européenne est susceptible de faciliter la négociation et la signature des accords de réadmission avec les pays voisins. Autrement dit, l'Union européenne a tendance à relier le développement de sa coopération commerciale (l'assistance financière, les régimes préférentiels et les aides au développement) avec les pays d'origine et de transit à leur engagement en matière de réadmission. Le Maroc ne déroge pas à la règle.

En effet, la Commission européenne avait déjà affirmé au Luxembourg le 13 octobre 2008: "L'importance qu'elle attache à la conclusion prochaine de cet accord qui ouvrira de nouvelles possibilités pour le développement de la coopération avec le Maroc y compris dans le contexte du dialogue sur le renforcement des relations bilatérales".

Sur ce point, l'Union européenne n'a pas hésité à déclarer être suffisamment "prête à développer sa coopération avec le Maroc... dès que les négociations entre la Commission européenne et le Maroc relatifs à l'accord de réadmission auront été achevées avec succès".

Ainsi, les responsables européens adoptent une politique de conditionnalité consistant à obtenir la signature par le Royaume de l'accord de réadmission avant de développer des relations de coopération avec lui. Toutefois, la réticence marocaine d'accepter la démarche européenne a réduit toute chance de conclusion de cet accord, au contraire, les négociations ont été bloquées puis suspendues.

Aujourd'hui, l'Union européenne revient à la charge, cette fois-ci plus déterminée à conclure un accord de réadmission avec le Maroc. S'appuyant sur le partenariat pour la mobilité, la partie européenne accepte la signature d'un accord de facilitation de visa pour les ressortissants marocains parallèlement à la conclusion d'un accord de réadmission. Si ce changement d'orientation de la part de l'UE a permis la réactivation des négociations, cela ne cache pas qu'une divergence d'approche entre les deux partenaires subsiste.

En effet, il semble que l'Union européenne s'appuie toujours sur le principe de la conditionnalité dans ses négociations. D'ailleurs, la Commission européenne demeure convaincue que "la mise en œuvre de l'approche donner plus pour recevoir plus, s'appuyant sur une certaine forme de conditionnalité, doit être poursuivie afin d'accélérer la procédure de négociation des accords communautaires de réadmission". Un constat que le Maroc refuse en s'accrochant à son approche partenariale.

 

Le Maroc et l'approche partenariale

Au moment où l'Union européenne insiste, dans le cadre des négociations sur l'accord de réadmission, sur sa politique de conditionnalité, le Maroc prône une démarche plutôt partenariale. D'ailleurs, le Maroc a plusieurs fois précisé que la pratique de conditionnalité se trouve aux antipodes du principe de la réciprocité prévu par le partenariat euroméditerranéen. C'est, d'ailleurs M. Fassi Fihri qui avait relevé cette discorde en précisant que l'accord communautaire de réadmission doit être "le plus équilibré possible", a ajoutant qu'un tel accord "n'a de mérite et d'intérêt que s'il satisfait les deux parties".

Pour le Maroc, l'accord de réadmission, perçu comme une priorité européenne, ne présente pas d'avantages pour lui puisqu'il s'intéresse uniquement aux préoccupations de la rive Nord de la Méditerranée. Il ne prend guère en considération les enjeux nationaux du Maroc et ignore la réalité de la migration sahélo-saharienne. Plus précisément, l'accord de réadmission reste très impopulaire auprès de l'opinion publique marocaine et de la société civile locale et internationale à cause de son préjudice humain. Sa conclusion pourrait, par conséquent, nuire à l'image du Royaume comme défenseurs des droits de l'Homme et protecteur des droits fondamentaux des migrants, fondement même de sa nouvelle politique migratoire.

De même, la conclusion d'un tel accord prévoyant la réadmission des nationaux et des étrangers transitant par le territoire marocain, porterait atteinte aux relations stratégiques du Royaume avec les Etats d'Afrique subsaharienne, et serait susceptible d'affecter la crédibilité de la démarche partenariale défendue par le Maroc dans le cadre de sa politique africaine.

Par ailleurs, le Maroc considère que la coopération en matière de lutte contre l'immigration clandestine ne peut se limiter aux seules considérations sécuritaires, de ce fait, l'accord de réadmission doit s'inscrire dans le cadre d'une politique globale qui intègre l'aspect sécuritaire, mais qui accorde une priorité particulière à la composante du développement dans le cadre de la gestion concertée du flux migratoire.

Enfin, l'accord de réadmission proposée par l'UE s'inscrit à l'antipode de la démarche du Royaume dont les responsables appellent à un dialogue régional entre "les pays émetteurs, de transit et de destination qui doivent constituer une chaîne où il n'y a pas de maillon faible". Ce qui suppose une responsabilité partagée, par les différents acteurs qu'ils soient des pays d'origine, de transit ou des espaces de destination. Ces derniers doivent assumer leur rôle face au phénomène de l'immigration irrégulière de plus en plus croissant.

Ainsi, en faisant recours à la politique de conditionnalité dans le cadre des négociations, l'UE néglige les positions de son partenaire marocain, et à ce titre, ne prend guère en considération le principe de l'intérêt mutuel que suppose le partenariat. Cette situation ne peut, en réalité, que renforcer la réticence du Maroc à adhérer à la demande européenne de conclure un accord de réadmission.

De ce tous ces éléments, il apparaît évident que les négociations euro-marocaines sur l'accord de réadmission souffre encore d'une divergence d'approches entre le Maroc et l'Union européenne. Par conséquent, la conclusion d'un tel accord semble bien loin.

Cependant, les menaces sécuritaires que connaît l'Europe actuellement pourraient changer cette situation. Reste à savoir si la Commission européenne s'appuiera sur ce contexte pour convaincre son partenaire marocain de la nécessité de signer un accord de réadmission.

AL HUFFINGTON POST, le 10/02/2015

Mehdi Rais