« L’aventure » ou l’histoire de la désillusion des migrants
Au moment du départ vers la voie terrestre, celle des Balkans. Crédit photo / « L’aventure » / Grégory Lasalle
C’est le fruit d’une enquête de près de deux ans. Grégory Lasalle vient de publier un livre, paru aux éditions « Non lieu » et un film intitulé « L’aventure » qui porte sur la vie en Grèce, la traversée des Balkans et l'arrivée en France de trois migrants Ivoiriens. Si l'histoire est malheureusement banale, le traitement du sujet propose, en revanche, un regard relativement nouveau, notamment, en nous collant à la vie des personnages. Interview du réalisateur de ce documentaire.
LCDL : Pouvez-vous nous expliquer la genèse de votre projet multimédia?
Grégory Lasalle : Ce projet est né d’une envie, celle de partager le quotidien d’Africains sur la route de l’Europe. L’enquête a commencé en mai 2012 lors d’un premier repérage à la frontière gréco-turque. Depuis 2010, des dizaines de milliers de migrants rentraient dans l’Union européenne entraversant clandestinement le fleuve Evros ou en passant par une portion de terre près de la Bulgarie. Puis, après quelques semaines dans les centres de rétention grecs, ils continuaient leur route vers Athènes.
À l’été 2012, la capitale grecque était le théâtre d’une vaste campagne d’arrestations de migrants. Les actes racistes se multipliaient. Puisqu’il n’y avait pas de travail, les migrants récupéraient, pour survivre, du fer ou du cuivre dans les poubelles. La Grèce s’était transformée en un piège duquel ils ne pouvaient s’échapper. En l’occurrence, une Grèce en crise. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré les lieux, les enjeux et les personnages de mon histoire.
Pourquoi avoir choisi précisément de suivre ces trois jeunes Ivoiriens : Loss, Madess et Moussa ?
Ma rencontre avec eux a été le fruit du hasard et a été facilitée par l’usage commun de la langue française. Le temps et la proximité ont ensuite permis la construction d’une relation de confiance indispensable avant de commencer un tel projet. Je leur ai proposé trois dispositifs afin de raconter l’histoire qu’ils vivaient : un documentaire audiovisuel d’ambiance qui ne serait pas un reportage, l’écriture d’un livre avec une approche chronologique des faits et le tournage d’images avec des Pocket Cams afin qu’ils puissent filmer eux-mêmes et offrir ainsi un point de vue sur leur aventure. À travers l’histoire de ces trois jeunes, c’est l’histoire de la désillusion des migrants passés par la Grèce que nous avons essayé de raconter.
Est-il possible, à votre sens, de traiter ce sujet sans porter aucun jugement ?
La migration est un sujet polémique. Je crois que proposer un regard distancié en essayant de ne pas porter de jugement permet aux spectateurs et aux lecteurs de se sentir libres au moment d’interpréter les faits et de choisir, ou pas, de mieux comprendre les femmes et les hommes qui décident de venir tenter leur chance en Europe. Cette distance avec le réel, également nécessaire pour me préserver émotionnellement lors du processus de réalisation, n’empêche pas l’existence d’un point de vue. Mon parti pris a été de réaliser ce projet « avec » les acteurs et de les inclure dans les différentes processus de production, depuis le tournage jusqu’aux différentes projections et présentations. Leur participation aux débats a été, selon moi, importante et contribue, je l’espère, à transformer le regard que peuvent avoir les citoyens européens sur les migrants.
Propos recueillis par Chloé Juhel
Moussa rassemblant son fer dans son logement à Athènes. Crédit photo /« L’aventure » / Grégory Lasalle
Rue des demandeurs d'asile d'Athènes, appelée "Al Capone" par les migrants. Crédit photo / « L’aventure » / Grégory Lasalle
le courrier de l'Atlas, le mardi 17 février 2015