Migrants en Méditerranée: «la solution, aller sur zone et empêcher les noyades»
Un bateau pour sauver des migrants en perdition en mer Méditerranée. L'Aquarius, qui est affrété par l'association SOS Méditerranée, est parti le 25 février de l'île de Lampedusa en Italie, en direction les eaux au large de la Libye. L'opération, d'un coût d'un million d'euros (dont un quart récolté par crowdfunding), doit durer trois mois. Le journaliste et écrivain français Jean-Paul Mari est à bord pour raconter ce périple.
RFI : comment s’est passée cette première semaine en mer ?
Jean-Paul Mari : C’est une semaine agitée, essentiellement à cause de la météo qui ne nous fait pas de cadeau. Depuis que nous sommes arrivés, on doit un petit peu se battre avec des vents entre 30 et 50 Km/heure et puis avec des rafales plus fortes c’est-à-dire des creux de trois à quatre mètres.
Le bateau que nous avons – Aquarius - évidemment est un grand bateau. Il est solide. Il fait 77 mètres de long et 1 800 tonnes, mais les migrants, eux, ne se lancent pas avec leurs embarcations sur une mer démontée. On pense donc évidemment aux migrants et on se dit et on espère que personne n’est sur l’eau en ce moment même
Qu’est-ce qui est prévu si jamais vous croisez la route d’une embarcation ? Il s’agit, pour vous, de les secourir, de les faire monter sur le bateau pour ensuite les « relâcher », les donner à d’autres bateaux, c’est ça ?
C’est exactement ça. L’idée n’est pas de les garder à bord longtemps. L’idée, c’est d’abord de les empêcher de se noyer parce que nous sommes dans un trou noir géographique - et je dirais politique - où dans cette région-là, il n’y a pas de bateaux. Nous sommes très au Sud par rapport à Lampedusa et par rapport à la Sicile et donc, il n’y a pas de bateaux qui croisent, dans cette région-là en tout cas, des bateaux de sauvetage.
La plupart du temps, ces migrants partent et au bout de vingt-quatre heures, ils pensent qu’ils atteignent la Sicile. C’est ce que leur ont dit les passeurs – ce qui n’est pas vrai – et par conséquent, ils se retrouvent tout de suite en difficulté. Souvent, leur moteur qui est un moteur souffreteux s’arrête. Parfois, les dealers et les passeurs ont mélangé de l’eau et du fioul parce que c’est moins cher et les gens se retrouvent tout de suite gelés, paniqués, déshydratés, affamés ! Et ils ont le mal de mer. Le mal de mer, je peux vous assurer, ça empire beaucoup l’état.
Donc notre travail - vous l’avez dit - c’est évidemment de les secourir. Nous avons à bord des médecins qui vont les soigner, traiter l’urgence, gérer un accouchement, une blessure, une suture ou encore des restes de blessures parce que souvent ce sont des gens qui ont beaucoup souffert.
L’idée, cependant, c’est d’abord de faire vite et de faire un transfert, de transborder, ou bien, s’il n’y en n’a pas, de les amener directement dans un port en Sicile, dans un centre d’accueil, et de revenir vite sur zone pour pouvoir continuer nos opérations de sauvetage
Ça ne devrait pas être aux autorités européennes ou aux autorités libyennes ou du pourtour méditerranéen de faire ce travail ?
Du côté des autorités du pourtour méditerranéen, il y a la Libye. Vous savez dans quel état elle est. Si l’on parle de l’Europe, elle a longtemps nié le problème des migrants et c’est donc devenu tabou. Et quand la vague est arrivée, il y a eu une réaction de panique qui a provoqué le chaos. Aujourd’hui, les pays de l’Europe n’ont pas de réponse commune et pendant ce temps-là, on est dans l’inaction. Il y a eu Frontex, il y a eu Mare Nostrum ce qui était une bonne chose, mais qui s’est arrêtée. Il n’y a plus de bateaux de sauvetage en Méditerranée que l’Europe contrôle.
Vous savez, j’ai fait beaucoup de reportages et j’ai même écrit un livre sur les migrants en Méditerranée et à chaque fois on vous disait : « Ah ! C’est terrible ! Mais que faire ?! ». Eh bien, que faire ? Nous avons la réponse et la réponse c’est ce bateau. On va sur zone empêcher des gens de se noyer, ce qui est une mission d’Européens, de citoyens et aussi une mission d’hommes !
Vous avez écrit, en effet, un livre sur la traversée des migrants en mer Méditerranée qui s’appelle Les Bateaux ivres. Vous avez recueilli les histoires de ces migrants. Aujourd’hui, quel effet cela vous fait-il d’être en mer à leur recherche ?
J’ai le sentiment profond d’être au bon endroit. On est journaliste, on est écrivain, l’écriture c’est une chose, mais mettre son écriture en action, c’est quelque chose d’important. Tous les gens qui sont là pensent la même chose c’est-à-dire que nous sommes au bon endroit. Nous sommes avec les gens qu’il faut sur le bateau qu’il faut. Nous sommes là pour faire la chose qui doit être faite, c’est-à-dire empêcher des gens de se noyer. C’est un devoir d’assistance à personne en danger. C’est aussi une façon de voir l’Europe puisque nous sommes, encore une fois, Français, Allemands, Italiens.
On ne peut pas rester chez soi. On dort très mal. On ne peut pas rester chez soi en se disant qu’il y a des gens qui se noient en Méditerranée et que voilà, c’est comme ça. On fait des articles et puis on verra ce qui se passe. Les gens qui sont ici ne sont pas des naïfs, non. Ils ont souvent beaucoup d’expérience et beaucoup d’expérience dans leur vie. Ils sont convaincus qu’ils sont au bon endroit et qu’ils font ce qu’il faut faire.
Les combats qui se déroulent en Libye, en ce moment, et l’hypothèse aussi d’une intervention internationale, tout cela pourrait-il accroître les départs prochainement ou pas ?
Cela peut provoquer dans les deux sens. Il peut y avoir une fuite extrêmement forte des migrants et des passeurs qui essaient de se débarrasser de la marchandise, parce qu’ils pratiquent même la traite humaine ! Cela peut aussi couper des routes et empêcher, à un certain endroit, les opérations de fonctionner.
Nous sommes prêts à tout et, si le temps se calme, si la mer redevient plate - ce qui fera plaisir à tout le monde - et si le temps redevient beau, nous pouvons avoir comme ça, du jour au lendemain, une série de bateaux qui se jettent sur l’eau et il faut être là.