Un mort de plus, un mort de trop. Les Etats-Unis s’embrasent après l’assassinat de l’afro-américain George Floyd par la police. L’ampleur de l’affaire a ravivé le débat à propos du racisme, pas seulement aux USA, mais également à travers le monde et notamment en Tunisie.

 

Ce n’est un secret pour personne. En Tunisie, le racisme envers les Noirs est normalisé. Il fait partie de l’inconscient collectif tunisien, de certaines de leurs traditions et se manifeste dans le comportement quotidien des citoyens. Le dialecte Tunisien est en lui-même chargé de racisme et de termes stigmatisants.

Les Tunisiens suivent avec intérêt ce qui se passe aux Etats-Unis. Les réseaux sociaux peuvent représenter un échantillonnage de la société et de la mentalité ambiante. Si les condamnations et le soutien affiché aux mouvements anti-racistes sont nombreux, il en est de même pour ceux qui n’y voient pas d’intérêt.

« Pourquoi tant de bruit, pour une histoire de meurtre banal ? » ; « Les Noirs veulent toujours plus. On leur a concédé des droits dans leur pays, mais ils font dans la victimisation pour imposer leur culture » ; « Que voudraient-ils de plus ? ils ont eu droit à un président Noir, ça ne leur suffit pas ? » ; « Les afro-américains sont généralement des criminels et c’est pour cette raison que la police les punit » … Petit florilège des réactions de certains de nos compatriotes. Edifiant.

Dans notre pays, les Noirs qu’ils soient de nationalité tunisienne ou étrangers sont confrontés quotidiennement à la discrimination et à la haine raciale. Les minorités qu’elles soient raciales, sexuelles, religieuses ou autres, sont d’ailleurs très mal perçues par une société qui cultive l’homogénéité. Ancré dans la mentalité, le racisme est décomplexé. Les abjections que subissent les concitoyens ou les étrangers Noirs vont de l’insulte gratuite, à la marginalisation socio-économique, aux agressions physiques. Dans l’inconscient collectif tunisien, les personnes Noires sont associées au statut d’esclave qui remonte à la période de la traite négrière. Ces personnes sont encore considérées comme inférieures aux ‘blancs’, comme des personnes de second ordre.  

C’est dire que la ségrégation et les violences raciales n’est pas l’apanage des Etats-Unis. Les agressions contre les Noirs sont fréquentes en Tunisie. Pas une période ne passe sans qu’un incident ne fasse les Unes des journaux. Parfois, ça passe aussi inaperçu dans l’indifférence générale. Les associations anti-racistes continuent à militer et à dénoncer.

Si aux USA la configuration est différente, les violences policières contre les afro-américains étant légion, en Tunisie ces violences prennent des visages multiples. Un, « retourne chez toi auprès des singes manger des bananes » après un passage à tabac, n’est pas chose rare. En plus des agressions verbales et physiques, les jeunes diplômés noirs peinent plus que les autres à décrocher un travail. La discrimination à l'œuvre sur le marché du travail est double. Il est tout aussi rare de voir un haut responsable ou un décideur Noir. Une sorte de plafond de verre qui ne dit pas son nom. Les jeunes noirs peinent également à entamer des relations avec des blancs, non pas qu’une loi ségrégationniste l’interdise, mais un tabou sociétal qui n’est pas près de changer, à quelques exceptions.

Les exemples sont multiples. Pourtant, en 2018, le Parlement tunisien a adopté une loi criminalisant la discrimination raciale. A l’époque, la société civile a crié victoire. C’en est une sur le plan législatif, aucun texte ne condamnait en Tunisie les actes racistes. Cette loi prévoit des peines allant d’un mois à un an de prison et jusqu’à 1000 dinars d’amende pour la profération de propos racistes. L’incitation à la haine l’apologie et les menaces racistes sont passibles de peine allant d’un à trois ans de prison et jusqu’à 3000 dinars d’amende.

Un travail à long terme reste à entreprendre. L’adoption de cette loi est un acquis en soi, reste maintenant à le concrétiser et à ce que l’Etat s’y engage. Pour changer les mentalités, il ne suffit pas de promulguer un texte législatif, il est nécessaire de l’accompagner par un travail d’éducation. Pour changer les mentalités, il faut commencer par l’école. Du Minnesota à Tunis, la lutte contre le racisme se poursuit.

 

Par Ikhlas Latif, publié sur businessnews le 1er juin 2020