Les étudiants africains sont-ils devenus "indésirables" en Tunisie ?
Obstacles administratifs, persécutions, brutalités et descentes de police à domicile, violences physiques, viols, interpellations musclées et disproportionnées, discriminations, racisme ambiant...la liste des maux dont sont victimes les étudiants subsahariens en Tunisie est longue et insupportable.
Ils sont Ivoiriens, Camerounais, Maliens, Tchadiens, Congolais, Sénégalais, Burkinabè, Mauritaniens, Togolais, Centrafricains...et ils comptent près de 8 mille. Tous en ont ras le bol. Tous ont la rage au coeur. La rage de vivre le calvaire au quotidien dans un pays qu'ils ont pourtant choisi, parmi tant d'autres, pour faire des études supérieures.
Il suffit de recenser les attributs peu sympathiques dont sont affublés ces étudiants subsahariens pour prendre conscience du malaise. Quand ce n'est pas "guiraguira" (singe), c'est kahlouche, abid, guird, oussif, lasmar… qu'on jette à leur figure dans les rues de Tunis. Des sobriquets jetés dans l’indifférence générale. Et ce, sans le moindre complexe, ni la moindre fausse pudeur !
C'est dans le but de faire entendre, à nouveau, leur voix et prendre à témoin le monde entier que l'Association des Etudiants et Stagiaires Africains en Tunisie (AESAT) a décidé encore à nouveau de passer la vitesse supérieure pour exprimer son indignation et dénoncer avec fermeté les persécutions et autres oppressions dont souffrent au quotidien les étudiants.
Au cours d'une conférence de presse, organisée aujourd'hui lundi 30 septembre, à Tunis et à laquelle ont pris part des étudiants, des membres de la société civile,des journalistes et quelques militants de droits de l'homme et d'associations de lutte contre les discriminations...le président de l'AESAT, Blamassi Touré, s'est éloquemment étendu sur le parcours de combattant qu'un étudiant subsaharien est appelé à subir en Tunisie, cette Tunisie, pourtant connue, naguère, pour son hospitalité, sa tolérance et son ouverture.
Des cartes de séjour au compte-gouttes
Comme dans tous les pays du monde où les étudiants sont censés bénéficier d'un titre de séjour, en Tunisie, trouver la carte de séjour s'avère un vrai parcours du combattant. Aux côtés de la lourdeur administrative sont venus s'ajouter d'autres maux, les uns plus insupportables que les autres.
Selon Blamassi Touré, "60% des demandes de séjour n'ont pas été satisfaites cette année. Et qui dit demande non satisfaite dit situation irrégulière. Et cela expose les étudiants (qui ont pourtant leur inscription en bonne et due forme) à des expulsions arbitraires. Le comble, c'est qu'aucune explication n'est donnée de la part des autorités." Des autorités qui semblent faire payer aux étudiants leur lenteur administrative.
Malgré les nombreux courriers adressés par l'AESAT au ministère de l'Intérieur, au ministère des Affaires étrangères, au ministère des Affaires sociales, à l'UGTT, à Amnesty International, à l'Association Tunisienne des femmes démocrates, à la Ligue tunisienne des droits de l'homme...la situation demeure la même. Et le comble c'est qu'aucune réponse n'est reçue en contrepartie. De quoi laisser demeurer un flou administratif qui dépasse plus d'un étudiant.
Pourtant, bien que les étudiants étrangers inscrits dans les universités privées (environ 6 mille) déboursent annuellement une fortune pour pouvoir suivre les cours (10 mille dinars contre 5 mille pour les Tunisiens), ils ne sont pas des mieux lotis.
Les cartes de séjour sont délivrés au compte-gouttes et les dossiers de nombreux étudiants rejetés sans justification, se retrouvent dans l'illégalité. Quand ces derniers ne sont pas expulsés au cours d'un contrôle policier ou lors d'une descente de police à domicile, ils sont contraints, à l'aéroport, de s'acquitter de lourdes pénalités sonnantes et trébuchantes une fois qu'ils désirent rentrer chez eux.
D'ailleurs, les cas d'expulsions d'étudiants ne manquent pas. Le président de l'AESAT vient de lancer un nouveau cri d'alarme et révèle même un cas tout à fait récent et choquant. « En effet, ce vendredi 27 septembre 2013, un étudiant tchadien a été refoulé pour la deuxième fois à l’aéroport Tunis-Carthage vers l’Egypte, qui n’était pas au départ son pays de provenance ; cet étudiant se trouve actuellement détenu au Caire. Un autre étudiant avait déjà été refoulé vers le Niger, ceci sans aucun justificatif valable."
Et le président de l'AESAT d'ajouter: "Des contrôles à domicile sont en train d’être menés dans la communauté de ces étudiants avec en prime des interpellations au cours desquelles les personnes interpellées ne sont pas clairement informées de ce qui leur est reproché. La dernière et peu glorieuse démonstration de force date du 26 Septembre 2013, et s’est déroulée au quartier Montplaisir non loin de Khérédine Pacha, où la police au motif d’un contrôle de routine a bloqué toute une rue et mobilisé un fort dispositif constitué de plusieurs véhicules et de motards." Bref, des scénarios dignes d'un véritable film hollywoodien !
Agressions, viols, racisme
Mis à part les problèmes de papier, le sentiment de toujours avoir la police à leurs trousses, la difficulté à trouver un logement,... les étudiants sont victimes de racisme, d'gressions physiques et sexuelles, d'arnaque...Et le plus écoeurant, c'est que ces pauvres étudiants ne peuvent même pas porter plainte. C'est à peine si leur récit est pris au sérieux par la police qui ne bougera jamais son petit doigt.
Le racisme contre les «Africains» (c’est la dénomination répandue ici, c’est à croire que la Tunisie qui a donné son nom au continent semble se renier) ne cesse de prendre des proportions inquiétantes. De plus en plus d’employés de la Banque Africaine de Développement et d’étudiants noirs africains sont victimes d’injures racistes et d'agressions physiques en Tunisie.
Dans les établissements universitaires, dans les quartiers populaires, dans la rue, les moyens de transport, les espaces publics, quand ils ne sont pas victimes de jets de pierres de la part des mômes, il n’est pas rare de les voir assaillis de sobriquets méprisants, du genre guira guira et ghird.
Pour mieux connaître le malaise que vivent les Noirs d’Afrique subsaharienne en Tunisie, nous avons recueilli certains de leurs témoignages. Il faut dire que certains laissent difficilement de marbre.
"Au-delà du fait que nous nous sacrifions pour venir effectuer nos études en Tunisie, loin du cocon familial, nous avons l'impression que nous ne sommes pas les bienvenus car nous sommes livrés à nous-mêmes. C'est trop difficile de se voir octroyer la carte de séjour. Nous sommes victimes de racisme aussi bien à l'école que dans la rue.", nous confie Germaine, étudiante en droit et membre du bureau de l'AESAT. Et de poursuivre: "Les Tunisiens ne respectent pas la peau noire. Pour eux, tant que tu es noir, tu restes un sous-homme, un moins que rien. D'ailleurs les préjugés sur les Noirs ont la peau dure ici. Certains Tunisiens restent convaincus que nous vivons chez nous sur des arbres. A l'école, nous ne bénéficions pas de privilèges, même l'assurance-santé à laquelle on semble nous faire souscrire à l'école se révèle être une vraie arnaque. Gare à quiconque tomberait malade ! Même du point de vue des frais universitaires, il y a une discrimination criarde.Nous payons le double de ce que payent nos collègues tunisiens. Ce qui est une aberration. Une arnaque, devrais-je dire"
Un autre étudiant enchaîne: "Les taxis refusent de s’arrêter et vont prendre quelques mètres plus loin des Tunisiens. C’est très démoralisant. En plus, beaucoup de Tunisiens sont racistes mais le cachent. Il y a plus d’hypocrites que de gens sincères. J’ai opté pour la Tunisie, car nous avions une très bonne image de ce pays. Aujourd’hui, je n’ai qu’une seule envie: finir vite et dégager de ce bled».
En Tunisie, les injures racistes ne sont pas encore considérées comme un délit. Il est temps de mettre en place une législation dans ce sens. Arrêter la politique de l’autruche en reconnaissant cette «gangrène» serait déjà le début d’une bonne thérapie.
Nombre d'étudiants ne comprennent pas cet acharnement contre les étudiants subsahariens et le comble c'est qu'ils ont l'impression, selon les termes mêmes du président de l'AESAT, d'"être punis d'avoir choisi la Tunisie comme pays d'accueil et comme pays de compétence en matière d'études".
Aujourd'hui, les étudiants de l'AESAT, après avoir envoyé une lettre ouverte au président de la République pour dénoncer leurs conditions de vie, en ont marre de rester dans un vide juridique. Et saisissent l'opinion internationale pour arrêter une hémorragie qui n'a que trop duré! Une hémorragie qui ne semble pas émouvoir les dirigeants tunisiens qui sont très dignement accueillis en Afrique subsaharienne, mais qui semblent, sur place, se moquer comme d'une guigne du sort de leurs hôtes africains.
Espace manager, le 02/10/2013