Youssef affirme avoir 16 ans. Après plusieurs mois passés en Algérie, il est arrivé en Libye en novembre 2018 dans l’espoir de pouvoir traverser la Méditerranée et rejoindre l’Europe. Il a raconté à InfoMigrants sa première tentative de traversée lors de laquelle il a failli mourir.

 

"Je suis de Guinée Conakry, j’ai 16 ans. Je suis parti quand j’avais 14 ans. D’abord je suis allé en Algérie. J’ai un peu travaillé dans des chantiers et ensuite, j’ai décidé de partir en Libye avec un ami.

On était à Oran, on est venus à Alger. On a pris le bus jusqu’à Ghardaïa, puis Ouargla. Là-bas, des Arabes nous ont mis avec d'autres jeunes dans des voitures 4x4. On passé 24 heures dans le désert avant d’atteindre Deb Deb.

Quand on est arrivés, on a été remis aux mains d’un coaxer [intermédiaire entre les migrants et les réseaux de passeurs, NDLR]. Il nous a dit qu’il fallait qu’on paye le trajet jusqu’en Europe. C'était 6 millions de francs guinéens (environ 520 euros). 

"Ils ont volé tout ce qu’on avait"

On a marché une bonne partie de la nuit pour traverser la frontière libyenne mais des gendarmes algériens nous ont arrêtés dans le désert. Ils ont volé tout ce qu’on avait : argent, objets de valeur, téléphones... Puis ils nous ont dit 'Allez, partez!'. On est arrivés à Ghadames vers minuit.

[Durant les jours suivants, Youssef et les autres jeunes hommes avec qui il se trouve passent de mains en mains et de voiture en voiture de Ghadames à Zintan, puis de Zintan à Sabratha, avant d’arriver enfin à Zawiya où ils sont détenus par un Libyen qui se fait appeler Haitem, NDLR.]

On est restés environ un mois. Il y avait des centaines de personnes. Dans ce 'campo' [prison clandestine où les migrants sont enfermés par les passeurs en attendant la traversée de la Méditerranée, NDLR], si on te prend en train de parler, on te frappe, on te maltraite. [Les gérants des lieux] ne nous nourrissaient même pas. Le boss, c’était Haitem mais il était aidé par d’autres hommes dont un qui s'appelait Malik. C’est lui qui frappait les gens.

"On était une centaine de personnes sur un zodiac de 12 mètres de long"

Ils avaient une voiture. Un jour, ils nous ont emmenés au bord de la mer avec des zodiacs et de l’essence. On a gonflé le zodiac et tout le monde l’a porté jusqu’à l’eau. On était une centaine de personnes sur ce bateau de 12 mètres de long. On était très serrés. On est partis vers 22h.

On a navigué toute la nuit et toute la journée du lendemain. Vers 18h ce jour-là, notre zodiac s’est percé. L’eau a commencé à entrer. Les femmes pleuraient. Tout le monde paniquait.On a enlevé nos pulls et on s'en est servis pour éponger l’eau mais on était que cinq à faire ça. L’eau continuait à entrer. Et le moteur a lâché.

Des navires marchands passaient parfois près de nous, on essayait alors de se diriger vers eux mais ils nous fuyaient. Puis on a vu une sorte de plateforme pétrolière. À côté, il y avait deux bateaux. L’un d’eux a dirigé une lumière sur nous et un navire marchand est venu nous sauver.

Quand nous sommes montés à bord, les membres de l’équipage nous ont dit qu’ils allaient nous emmener en Italie ou à Malte. On était contents. On a passé deux jours avec eux en mer. Ils nous donnaient à boire et à manger. Mais en fait, ils nous ramenaient à Tripoli. Ils nous avaient dit qu’ils allaient en Europe pour ne pas qu’on s’inquiète.

Enlevé en pleine rue

Quand nous sommes arrivés au port de Tripoli, les Libyens ne nous ont pas envoyés en prison, ils nous ont emmenés dans le quartier de Gargaresh [à l'ouest de Tripoli, NDLR]. Là-bas, des Guinéens que j’avais connus dans le 'campo' de Haitem m’ont conduit chez eux. Il y avait une trentaine de jeunes. J’ai vécu là pendant un moment. J'ai pu économiser en travaillant.

Un jour, une voiture 4x4 avec des vitres fumées et trois hommes à l'intérieur est passée près de moi alors que je marchais dans la rue. Les hommes avaient des armes et ils m’ont obligé à monter. On m’a enlevé. Ils m’ont emmené dans un endroit et ils m’ont détenu pendant 5 heures. Ils voulaient que je leur donne de l’argent mais ils ont compris que je ne parlais pas arabe. Ils m’ont volé mon téléphone puis ils m’ont emmené dans une prison qu’on appelle Salaheddine. Là-bas, j’ai vu beaucoup de personnes qui avaient été interceptées en mer.

J’ai passé environ deux mois là-bas. J’étais amaigri, affaibli. Un jour, des hommes sont venus chercher des gens pour travailler. Je me suis porté volontaire. On faisait le ménage dans un endroit. À un moment donné, j’ai pu m'enfuir parce qu’il n’y avait personne près de moi.

Un taxi m’a conduit chez mes amis guinéens. J’ai pu reprendre des forces grâce à eux et j’ai commencé à travailler dans des chantiers.

Parti pour Zouara

Il y a cinq mois, je suis parti pour Zouara. L’embarquement pour la traversée de la Méditerranée s'y fait dans des bateaux en bois donc il y a moins de risques que sur des zodiacs. La traversée coûte 4 500 dinars (environ 2 800 euros). J’ai déjà payé avec ce que je gagnais à Tripoli et Zawiya. J’attends qu’on m’appelle pour partir.

Chaque matin, avec des amis, on sort et on s’assoit au bord de la route pour attendre qu’on nous donne du travail. Mais on ne nous paye pas bien. Ça suffit juste pour manger et payer notre loyer."

 

Par Julia Dumont, publié sur InfoMigrants le 17 novembre 2020.

Photo : Une embarcation de fortune au large de la Libye | picture alliance/S. Palacios