Drame de Lampedusa. Honte à nous !
Hier, au large de Lampedusa, marchepied européen (qui aurait bien pu relever du territoire national), il y a eu encore des morts nombreux et d’innombrables disparus. Cela s’est ajouté à une bien triste et longue liste de victimes que l’on ne saurait ni ne devrait jamais oublier, ne serait-ce que parce que les files des futures victimes sont déjà là qui se bousculent à l’horizon.
Sous le choc, l’Italie a décrété un deuil national; mais aucune solennité, aucune componction formelle ne sauraient rendre la vie aux pauvres hères péris en mer, dont le seul tort aura été de défier l’arrogance et l’autisme humains des uns et des autres, d’essayer d’aller contre l’égoïsme des politiciens, leur cynisme inhumain.
Honte à nous si on ne tire pas enfin la leçon de pareil drame renouvelé ! Honte à nous si on n’ose pas enfin parler juste en indiquant la juste voie aux bandits de la politique politicienne !
Combien nous faut-il encore de drames en Méditerranée pour réaliser que relève bien de la délinquance politique la fermeture des frontières de l’Europe à la misère des pays situés sur sa rive qui furent sa source principale de richesses, pillées sans vergogne pour son développement propre ?
Combien faut-il encore de morts afin d’oser enfin voir l’inqualifiable, à savoir que la politique migratoire européenne relève objectivement du grand banditisme ? Non seulement elle n’endigue ni n’éradique l’immigration clandestine, mais elle encourage objectivement la prolifération des filières maffieuses exploitant la désespérance des populations du Sud. Et ce désespoir est bel et bien entretenu, directement et indirectement, par les politiques égoïstes des États développés, sourds et aveugles à leur devoir de solidarité à l’égard des greniers d’antan dévastés à tous les niveaux — en termes de marchandises comme de force de travail et de combat — pour fonder leur actuelle prospérité.
Osons donc le dire au cas où cela aurait quelque chance de réveiller les consciences anesthésiées : la gestion actuelle des flux migratoires — phénomène humain naturel et de tout temps — a sans conteste toutes les caractéristiques de l’acte criminel d’État; le cautionner, de quelque manière que ce soit, c’est commettre une forfaiture; et ce, non seulement à l’égard du droit des gens, mais aussi des valeurs morales et de la conscience humaine tout simplement.
Que les politiques occidentaux aveuglés par leur arrogance, cédant aux contraintes de leurs intérêts nationaux étriqués, ne tiennent pas encore compte de la gravité de leurs turpitudes, cela ne doit plus constituer le prétexte commode aux gouvernements des pays lésés pour en être les complices actifs, serviteurs dociles d’intérêts non solidaires, attentant à la vie de leurs concitoyens dont ils sont les premiers responsables.
Il est aujourd’hui un impératif moral de la plus haute importance que la Tunisie de la Révolution doit honorer quitte à irriter ses partenaires, c’est de devoir oser dénoncer la politique migratoire actuelle vide de sens de l’Europe où se concentre l’essentiel de sa communauté et avec laquelle l’unissent tant de liens. Cela doit l’amener, si nécessaire, à envisager sérieusement de se désengager de toute complicité dans cette aberration monstrueuse absolue qu’est une coopération sécuritaire au niveau de sortie du territoire national devenue meurtrière, des vies humaines innocentes étant quasi rituellement sacrifiées sur l’autel d’une illusoire sécurité.
La diplomatie tunisienne, si elle entend sérieusement être en harmonie avec l’esprit du Coup du peuple et les exigences populaires, est tenue d’avoir enfin le courage de réclamer l’ouverture des frontières aux ressortissants tunisiens au nom de la démocratie naissante en Tunisie. Il est temps, pour elle, de dénoncer la pratique actuelle du visa attentatoire non seulement aux libertés et aux vies, mais aussi au droit international et à la souveraineté, sans être pour autant véritablement efficace en matière sécuritaire. La Tunisie serait inspirée de proposer en son lieu et place un type nouveau de visa biométrique qui soit de circulation, garantissant à la fois la liberté de mouvement — l’un des droits de l’Homme essentiels — que le légitime réquisit sécuritaire de l’Occident.
Ainsi servira-t-elle et son peuple et la morale dont se réclament ses dirigeants ! Ainsi aura-t-elle le mérite de forcer l’inconscience politique régnant en une Europe autiste, contraire à ses valeurs et à ses intérêts propres. Et ainsi amènerait-elle cette dernière à se remettre en cause en vue de revenir à ses fondamentaux, en comprenant enfin que sa sécurité est bien mieux servie par l’ouverture raisonnée des frontières que par leur fermeture sauvage, traduisant une conception dogmatique de la sécurité surannée, absolument contre-productive.
De nos jours, la véritable sécurité relève d’un espace à aménager et qui soit de paix, de coopération, de liberté, avant de finir par être de prospérité commune; c’est l’espace de démocratie que j’appelle de mes vœux en Méditerranée. Car aucune démocratie ne saurait naître et se stabiliser dans une réserve, un espace fermé finissant par s’y étouffer étant coupée de son environnement, surtout quand celui-ci lui est vital et dont elle ne saurait se couper; c’est bien le cas de la Tunisie.
Si l’Occident veut vraiment d’une démocratie paisible et sereine à ses frontières, qu’il agisse donc pour que, demain, il y ait à sa porte moins de drames dont il est, sinon la cause directe, du moins le responsable objectif.
Si les dirigeants tunisiens sont sérieux dans leurs efforts de démocratisation du pays, qu’ils se désolidarisent désormais de servir une pareille politique qui ne les fait qu’agir contre les intérêts bien compris de leur propre peuple, se mettant au service d’intérêts étrangers. Or, sur le long terme, ceux-ci ne servent que la dérive — bien en cours en Tunisie dans les rangs de notre jeunesse désespérée — vers les divers extrémismes que la xénophobie permet et entretient irrémédiablement. Et c’est d’abord les intérêts de l’Occident que cela dessert.
Quitte à faire du donquichottisme, il nous faut être enfin justes de voie et de voix dans la nouvelle Tunisie ! Y a-t-il donc en ce pays se voulant et se disant révolutionnaire un véritable militant des valeurs en mesure d’incarner pareil combat en un réel sacerdoce ?
Nawaat, le 09/10/2013