À peine inauguré et déjà à moitié plein. Un nouveau cimetière "Jardin d’Afrique" a été inauguré mercredi 9 juin, à Zarzis, dans le sud de la Tunisie, non loin de la frontière libyenne, en présence d’Audrey Azoulay, la directrice générale de l’Unesco. Le terrain acheté par un Algérien, l’artiste Rachid Koraïchi, en 2018, accueille déjà 200 tombes. Toutes les dépouilles sont celles de migrants non-identifiés dont les corps s’échouent régulièrement sur les plages de Zarzis.
Les migrants enterrés là sont des "damnés de la mer", souligne Rachid Koraïchi, interrogé par l’AFP. Ils ont "affronté le Sahara, des gangsters, des terroristes", parfois la torture ou un naufrage, souligne-t-il. "Je voulais leur faire un début de paradis", après l'enfer de la traversée. L'artiste de 74 ans, exposé à Londres, New York ou Paris, a lui-même perdu un frère, emporté par le courant lors d'une baignade en Méditerranée.
Partis de Libye ou parfois de Tunisie, les corps sont repêchés au large, ou échouent sur les plages du sud tunisien en raison des courants marins. Ce n’est pas le premier cimetière de migrants que compte la ville. Il y a quelques années, un ancien pêcheur tunisien, Chamssedine Marzoug, avait lui aussi créé un "cimetière des inconnus", à moins d’un km du "Jardin d’Afrique", dans la ville de Zarzis.
La différence entre les deux lieux est notable : le premier, créé à partir de rien par Chamssedine, a été conçu sur le terrain sablonneux d'une ancienne décharge de la ville. Il n’est constitué que de terre et de quelques fleurs pour décorer les sépultures. Le second, "Jardin d’Afrique", est un véritable projet artistique. Il a été réalisé avec davantage de moyens, il est doté d’une porte traditionnelle du XVIIe et d’allées de céramiques peintes à la main.
Plus de 500 migrants dans le premier cimetière de Zarzis
InfoMigrants avait rencontré Chamssedine en 2018 à Zarzis. À l’époque, il s’inquiétait déjà du manque de place dans son cimetière. "Aujourd’hui, le cimetière des inconnus est plein", explique-t-il à InfoMigrants. "Il compte plus de 500 tombes, tous de migrants subsahariens non-identifiés, des hommes, des femmes et des enfants". Seule la sépulture d'une Nigérienne, Rose-Marie, est marquée par un peu de béton et quelques fleurs. "Nous nous sommes recueillis le 27 mai sur sa tombe, le jour de son décès, avec sa famille".
"Je ne peux plus accueillir de nouvelles tombes ici. Mais je continue à venir pour les entretenir et arroser les plantes". Chamssedine Marzoug espère que la nouvelle génération tunisienne continuera à s'occuper du lieu après lui. "Je fais venir des classes ici, je leur explique l'histoire du lieu. Nous plantons des fleurs ensemble sur les tombes. Je n'aimerais pas que ce cimetière soit abandonné un jour".
Selon lui, les autorités tunisiennes respectent du mieux qu’elles peuvent le protocole sanitaire pour s’occuper des dépouilles retrouvées. "Avant de les enterrer, la garde maritime et la Protection civile récupèrent les corps, procèdent à un travail d’identification et au prélèvement d’ADN", explique-t-il. "Ce sont les services de la municipalité qui s’occupent du transport des corps". En 2019, une polémique avait enflé en Tunisie : des associations avaient accusé les municipalités du pays de ne pas respecter les dépouilles en les déplaçant sans matériel adéquat ni précaution nécessaire.
"Agrandir le cimetière"
L’ancien pêcheur dit avoir aidé Rachid Koraïchi à trouver un terrain pour créer "Jardin d'Afrique". Selon lui, le deuxième cimetière devrait être rapidement rempli. "Ces derniers temps, beaucoup de corps sont retrouvés sur les plages. Avant-hier [lundi 7 juin], sept migrants ont été récupérés", dit-il. "De manière générale, toutes les semaines, nous récupérons des corps".
Rachid Koraïchi a déjà pensé à une extension. "On a prévu d'acheter le terrain contigu, pour agrandir le cimetière", a-t-il déclaré à l'AFP.
Les départs en mer depuis la Libye voisine sont en forte augmentation, surtout l'été, synonyme de beau temps et de mer plus calme. Les départs depuis la Libye ont d'ailleurs nettement augmenté, avec 11 000 départs de janvier à avril 2021, soit 73% de plus qu'à la même période l'an passé.
Depuis le début de l’année, 640 migrants sont morts en Méditerranée centrale, selon l’Organisation internationale des migrations.
Publié par Charlotte Boitiaux, à InfoMigrant, le 09/06/2021
Photo Le cimetière pour migrants "Jardin d'Afrique" à Zarzis, en Tunisie, en juin 2021. Crédit : capture d'écran YouTube